Crise au Soudan : conflits armés, économie et corruption

Crise au Soudan : conflits armés, économie et corruption

La situation au Soudan se dégrade: conflit armé, 70 000 morts, corruption extrême, économie en crise, aide pillée, paix incertaine

La situation actuelle au Soudan résulte d’une série de tensions politiques, militaires et économiques. Depuis avril 2023, les Forces de soutien rapide (RSF) affrontent l’armée régulière soudanaise, aggravant une crise qui s’enracine dans la période de la dictature d’Omar al-Bashir (1989-2019). Les tentatives de médiation, notamment via le Sovereign National Council (SNC), n’ont pas abouti. Le bilan humain est lourd : environ 70 000 décès liés aux affrontements, des centaines de milliers de déplacés et une économie qui vacille. L’aide humanitaire est régulièrement détournée, aggravant les pénuries alimentaires.

Les liens historiques entre les RSF, héritières des milices Janjaweed, et la région du Darfour illustrent des décennies de tensions ethniques et politiques. Les indicateurs internationaux, tels que l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International, classent le Soudan et le Sud-Soudan parmi les pires du monde en la matière.

Sur le plan diplomatique, le retrait du Soudan de la liste américaine des États soutenant le terrorisme (SST) en 2020 avait offert un espoir de redressement, notamment grâce à l’amélioration des relations avec Israël. L’accès plus facile à la technologie, aux investissements et à l’aide extérieure était envisagé. Ces espoirs ont été largement compromis par la reprise des combats. Le conflit actuel plonge la population soudanaise dans un cycle persistant d’insécurité et de crise alimentaire, limitant fortement les perspectives de reconstruction durable.

Historique politique et formation du SNC

Le contexte actuel au Soudan puise ses racines dans une longue histoire de conflits et de gouvernances militaires. Depuis plusieurs décennies, ce pays d’Afrique de l’Est fait face à des changements de régime et à des tensions internes récurrentes. L’une des étapes marquantes demeure la période prolongée sous Omar al-Bashir, au pouvoir de 1989 à 2019. Durant ces 30 années, les politiques menées ont favorisé des divisions internes, provoquant des affrontements armés et l’effritement des institutions civiles. Ces dynamiques ont joué un rôle central dans la création d’une situation politique très fragile, où les tentatives de démocratisation se heurtent à des réalités militaires complexes.

Après la chute d’Omar al-Bashir en 2019, beaucoup d’acteurs nationaux ont espéré un retour progressif à un système plus inclusif. C’est dans ce contexte qu’est né le Sovereign National Council (SNC), structure composée d’acteurs civils et militaires, conçue pour encadrer une transition politique. Cette transition avait pour objectif d’apaiser les tensions, de réformer les institutions et de poser les bases d’une gouvernance plus représentative. En théorie, le SNC devait favoriser la mise en place de mesures visant la restauration d’une gouvernance démocratique, l’application de réformes institutionnelles et la préparation d’élections libres. Cependant, dès le début, ce processus s’est heurté à un manque de confiance mutuelle entre civils et militaires, rendant difficile toute avancée concrète.

À partir d’octobre 2023, les divergences entre les parties prenantes se sont intensifiées. Les ambitions de réformes profondes ont été compromises, les militaires cherchant souvent à préserver leurs intérêts stratégiques et économiques, tandis que les civils cherchaient à obtenir des garanties institutionnelles solides. Le SNC, censé servir de plateforme de négociation, a rapidement atteint un point mort. La fin de ce dialogue a entraîné un contexte de méfiance généralisée. Certains civils favorables aux réformes ont vu dans la mainmise militaire une menace évidente : celle du retour à un système autoritaire proche du régime d’Omar al-Bashir.

Cette impasse politique a laissé le pays dans une situation d’incertitude. Sans cadre politique consensuel, la reprise des affrontements armés s’est intensifiée. Au lieu de conduire à une normalisation, le SNC a été perçu par de nombreux observateurs comme un espace politique bloqué. L’échec de cette instance a donc contribué à la détérioration de la stabilité interne du Soudan, précipitant le pays vers la crise actuelle.

Crise au Soudan : conflits armés, économie et corruption

Le bilan humain, économique et conséquences sur l’aide

Depuis la reprise des hostilités en avril 2023 entre les Forces armées soudanaises et les RSF, la situation humanitaire s’est fortement dégradée. Les combats ont fait près de 70 000 morts selon diverses estimations disponibles sur le terrain, y compris les civils. Cette donnée, approximative, fait écho à l’ampleur des violences et des raids. Les populations urbaines et rurales se retrouvent confrontées à des affrontements intermittents, des attaques contre des infrastructures civiles et le démantèlement progressif des réseaux de distribution de denrées essentielles. Les déplacés internes se chiffrent désormais en centaines de milliers, fuyant les zones de combat pour trouver un abri précaire dans des régions théoriquement plus sûres.

La crise est également économique. Avant 2023, le Soudan avait prévu une phase de reconstruction, de réformes et de réconciliation interne pour favoriser la stabilité. Toutefois, les récents combats ont remis en cause ces perspectives. L’instabilité politique réduit considérablement les flux d’investissements extérieurs. Le taux de chômage a augmenté, affectant de nombreux secteurs, du petit commerce à l’industrie agricole. Les marchés régionaux subissent une hausse des prix, rendant l’accès à la nourriture de plus en plus difficile. Les pénuries se multiplient, et les populations locales peinent à acquérir des biens de première nécessité. Par exemple, le prix d’un sac de sorgho de 90 kg, denrée de base, peut atteindre plusieurs dizaines d’euros, montant non soutenable pour une majorité de ménages.

De plus, l’aide humanitaire, élément crucial pour une population fragilisée, se heurte à des détournements réguliers. Différents groupes armés, y compris des bandes criminelles liées aux RSF, s’approprient certaines cargaisons de vivres et de médicaments. L’acheminement des ressources est entravé. Les distributions ne se font pas correctement, rendant l’aide inefficace. Cette dynamique freine les interventions humanitaires internationales, qui exigent des garanties minimales de sécurité pour leurs personnels et le matériel.

En parallèle, les crises alimentaires s’amplifient. Le secteur agricole, déjà sous tension, voit sa productivité chuter, faute de moyens, d’investissements et de tranquillité. Cela contraint une part croissante de la population à dépendre d’importations coûteuses ou de distributions sporadiques, aggravant une situation globale de vulnérabilité. Sans une stabilisation politique et sécuritaire, aucune amélioration durable n’est envisageable. L’économie soudanaise se retrouve donc enfermée dans une spirale de pénurie, de chômage et de dépendance humanitaire, altérant profondément le tissu social et la résilience des communautés locales.

Le rôle des RSF, origines et transformations

Les Forces de soutien rapide (RSF), connues auparavant sous le nom de Janjaweed, constituent un acteur déterminant dans la situation actuelle du Soudan. Historiquement, les milices Janjaweed sont apparues dans les années 1980, opérant principalement dans la région du Darfour, à l’ouest du Soudan. À l’époque, elles intervenaient déjà dans des affrontements transfrontaliers, notamment au Tchad et en Libye, avant de se recentrer sur le Darfour vers la fin des années 1980. Leur mode d’action reposait sur des raids, des actes violents à l’encontre de populations civiles et des opérations punitives, souvent menées contre des communautés noires africaines perçues comme résistantes à l’autorité centrale.

En 2013, les Janjaweed ont pris le nom de RSF, s’institutionnalisant au sein de l’appareil sécuritaire du gouvernement soudanais. Ces forces paramilitaires, financées et équipées par l’État, se sont transformées en instrument de contrôle territorial et politique au Darfour, terrorisant les populations locales et assurant la mainmise du pouvoir central sur une région historiquement instable. Leur rôle a ainsi été officialisé dans la répression des groupes rebelles et dans le maintien d’un ordre imposé par Khartoum.

En 2023, un point de rupture a été atteint lorsque le gouvernement soudanais a proposé l’intégration des RSF dans l’armée régulière. Les RSF ont refusé, voyant dans cette initiative une remise en cause de leur autonomie, de leurs prérogatives et de leur influence. La confrontation ouverte en avril 2023 entre l’armée et les RSF a illustré la force acquise par ces derniers au fil des ans. Les RSF disposent d’armes modernes, de ressources logistiques étendues et de relais dans certains segments de l’économie locale. Cette assise leur permet de se mesurer à l’armée, rendant la situation encore plus complexe.

Le conflit actuel entre l’armée et les RSF a des implications majeures sur la stabilité du pays. La difficulté à réintégrer les RSF dans les structures militaires traditionnelles souligne une fragmentation de l’appareil sécuritaire soudanais. Les communautés locales, déjà fragilisées, se retrouvent au cœur d’un champ de confrontation entre deux entités armées concurrentes. Ce contexte militarisé empêche la restauration de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Le défi consiste désormais à réduire le rôle néfaste de ces formations paramilitaires pour permettre un processus de paix, déjà compromis, et limiter les atteintes aux droits fondamentaux des populations civiles.

La corruption, esclavage et classement international

L’indice de perception de la corruption établi par Transparency International situe le Soudan et le Sud-Soudan parmi les pays les plus corrompus au monde. Selon le classement 2022, le Sud-Soudan occupe la 177ᵉ place sur 180, tandis que le Soudan est autour de la 162ᵉ place. Cette situation entrave toute tentative d’amélioration des conditions de vie. Les mécanismes de gouvernance, déjà fragiles, laissent place à des opérations informelles, des détournements de fonds et des privilèges économiques accordés à certains groupes armés ou politiques. La présence de la corruption affecte aussi la distribution de l’aide humanitaire, compromise par le siphonage systématique des ressources. Les médicaments, la nourriture et les équipements techniques disparaissent souvent avant d’arriver aux communautés visées.

Parallèlement à ce problème, un phénomène persistant contribue à la dégradation de l’image du Soudan sur la scène internationale : la poursuite de l’esclavage. Depuis les années 1990, des milices arabisées ont été encouragées à mener des raids contre des groupes africains non musulmans, aboutissant à des captures de personnes réduites en esclavage. Cette pratique, profondément enracinée dans certains cercles, émerge parfois dans l’actualité internationale, révélant une dynamique tragique. Les miliciens peuvent revendre des personnes en échange de biens, ou les exploiter comme main-d’œuvre. Dans certains cas, le phénomène s’étend au-delà des frontières soudanaises. Des rapports font état de groupes terroristes, tels qu’al-Qaïda au Sahel, ayant emmené des captifs lors de retraites stratégiques, comme au Mali. Ce système maintient un climat de terreur et de déshumanisation, décourageant la stabilisation.

Ces pratiques, corruption et esclavage, pèsent sur l’intégration internationale du pays. Les investisseurs potentiels craignent un système juridique défaillant, des règles opaques, ainsi qu’une insécurité chronique. Les classements internationaux reflètent cette réalité : les pays les mieux classés attirent plus aisément les capitaux étrangers, favorisant la croissance, alors que le Soudan stagne dans une zone d’incertitude. Sans réformes profondes, l’accès à des lignes de crédit internationales, à des technologies performantes et à des partenariats commerciaux demeure limité. Le résultat est une économie fragilisée, incapable de soutenir un développement durable. Le contexte actuel ne peut s’améliorer qu’avec la mise en place de mécanismes juridiques fiables, la responsabilisation des acteurs impliqués et une volonté politique ferme d’éradiquer ces pratiques. Pour l’instant, le poids de la corruption et l’existence de l’esclavage entravent toute perspective solide de redressement.

Crise au Soudan : conflits armés, économie et corruption

Le retrait de la liste SST et effets espérés

En octobre 2020, le Soudan a été retiré de la liste américaine des États soutenant le terrorisme (SST). Cette décision a marqué la fin de 27 années de sanctions et de restrictions. Auparavant, la présence sur cette liste empêchait le Soudan d’accéder à des sources de financement internationales, d’obtenir du matériel technologique de pointe et de bénéficier pleinement de l’aide internationale. Les échanges commerciaux étaient limités, ce qui bridait considérablement la modernisation économique. Pour le Soudan, sortir de cette liste représentait l’opportunité de recourir aux mécanismes de prêts internationaux, de participer plus activement aux instances de gouvernance économique mondiale et d’élargir son marché intérieur grâce à des produits plus variés.

Le retrait du SST a également ouvert la porte à une reconnexion avec le reste du monde. Les appareils électroniques, tels que les ordinateurs, les smartphones et certains logiciels, sont désormais plus accessibles. Cela est essentiel dans une économie moderne où l’accès aux nouvelles technologies permet d’augmenter la productivité. Les outils numériques facilitent la gestion des infrastructures, la formation à distance, l’accès à des données financières actualisées et la communication avec les partenaires extérieurs. Cet accès technologique pourrait améliorer la transparence des échanges, réduire les détournements de fonds et optimiser la distribution des ressources, si le cadre politique le permet.

La levée de ces contraintes a aussi ouvert la voie à la normalisation des relations diplomatiques et économiques. L’arrivée d’investisseurs potentiels était espérée, ainsi qu’un renforcement des collaborations régionales. Toutefois, la reprise des conflits en 2023 a compromis ces perspectives. Sans stabilité, l’ouverture économique ne peut se concrétiser. Les investisseurs étrangers, prudents, évitent de s’engager dans un environnement incertain. Malgré la sortie de la liste SST, le potentiel demeure bridé. Le Soudan doit rétablir la sécurité intérieure, réduire les pratiques corruptrices, stabiliser ses institutions et garantir un environnement propice à l’activité économique. Ce n’est qu’à ce prix que la normalisation internationale prendra effet, transformant l’économie soudanaise sur le long terme. Pour le moment, le bénéfice attendu reste théorique, en attente de conditions structurelles plus favorables.

Les relations avec Israël, accès à la technologie et perspectives

À la suite de la transition amorcée en 2019, le Soudan a entrepris d’améliorer ses relations diplomatiques, notamment avec Israël. L’accord de normalisation, discuté après 2020, avait pour but de consolider l’ancrage du Soudan dans la communauté internationale, ainsi que d’obtenir des avantages économiques. Reconnaître Israël a parfois suscité des réticences internes, y compris chez ceux attachés à la démocratie, mais l’espoir était d’obtenir un levier pour relancer l’investissement, la coopération sécuritaire et l’accès à des technologies de pointe.

Le partenariat avec Israël devait permettre au Soudan d’accélérer sa modernisation. L’arrivée de compétences techniques, d’équipements médicaux, de technologies agricoles et industrielles aurait pu contribuer au redressement de l’économie locale. Par exemple, l’implantation de serres modernes, optimisées pour résister aux climats arides, pouvait augmenter les rendements agricoles. Des drones agricoles et des outils de gestion de l’irrigation, disponibles sur le marché international, sont plus facilement intégrables avec un réseau de partenaires internationaux. De même, le secteur de la santé aurait pu bénéficier de matériel médical plus avancé, favorisant la détection précoce des maladies, la logistique pharmaceutique et la formation du personnel soignant.

Cependant, la reprise des affrontements en avril 2023 a mis en suspens ces dynamiques. Les structures étatiques, déjà instables, ne peuvent ni sécuriser durablement les infrastructures ni garantir l’application des accords. Les acteurs étrangers, y compris israéliens, observent la situation et hésitent à s’engager dans un contexte peu fiable. L’instabilité éloigne toute perspective de mise en place de projets pilotes, d’usines de transformation agroalimentaire ou d’installations de télécommunications modernes.

Malgré tout, les possibilités restent là, mais nécessitent une stabilisation globale. En théorie, la coopération technologique avec Israël, la relance des partenariats internationaux et l’importation d’expertises diverses pourraient aider le Soudan à rattraper une partie de son retard. Les pays voisins suivront de près cette évolution, car la stabilité du Soudan influe sur les échanges régionaux et le développement des corridors commerciaux. D’ici là, sans un environnement politique plus sécurisé, ces potentialités resteront inexploitées. La relation avec Israël n’est donc pas simplement un geste diplomatique, c’est aussi une clé potentielle pour un développement à moyen terme, suspendu aux incertitudes du contexte actuel.

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