
Analyse technique et industrielle des impacts de la décision du Royaume-Uni entre F-35 et Eurofighter, chiffres et données du marché à l’appui.
Le Royaume-Uni envisage d’acquérir davantage de F-35 au lieu de nouveaux Eurofighter Typhoons. Cette décision aura des conséquences sur la capacité militaire, l’industrie nationale et les relations diplomatiques. BAE Systems, acteur clé des deux programmes, emploie plusieurs milliers de personnes en Angleterre pour produire des composants critiques des deux avions. Choisir massivement le F-35 renforcerait la dépendance vis-à-vis des États-Unis, fragiliserait l’industrie aéronautique européenne, et pourrait affecter l’emploi au Royaume-Uni. Le F-35A offre des performances en furtivité et en guerre électronique supérieures mais est moins performant que l’Eurofighter pour certaines missions spécifiques comme l’interception rapide.
Le contexte industriel du choix F-35 contre Eurofighter
La décision britannique d’augmenter ses commandes de F-35 au détriment du Eurofighter Typhoon affectera directement l’industrie aéronautique nationale. BAE Systems, principal industriel de défense au Royaume-Uni, participe à hauteur de 15 % dans la production du F-35, notamment pour l’assemblage des fuselages arrière, des empennages horizontaux et verticaux, ainsi que des systèmes électroniques critiques comme la suite de guerre électronique et l’ordinateur de gestion de vol.
BAE Systems emploie 1 500 spécialistes en production à Samlesbury pour le programme F-35, sur un total de 2 300 employés dédiés au projet à l’échelle mondiale. Ces chiffres illustrent l’importance du programme pour l’emploi industriel local.
En revanche, sur le programme Eurofighter, le Royaume-Uni détient un workshare de 37 %, historiquement prévu car Londres devait être le principal utilisateur. Aujourd’hui, ce rôle a été repris par l’Allemagne. Unite, syndicat influent, estime que 6 500 emplois sont directement liés au Typhoon chez BAE Systems et Rolls Royce, auxquels s’ajoutent 14 000 emplois indirects dans la chaîne logistique.
Exemple concret : un arrêt progressif du programme Eurofighter pourrait menacer directement 10 250 emplois dans le Nord-Ouest de l’Angleterre (moitié des emplois directs et indirects), selon les estimations industrielles actuelles.
Les conséquences économiques d’une telle décision impliqueraient également une perte de compétences techniques stratégiques dans la conception et la fabrication d’aéronefs de combat européens.

Conséquences militaires du choix entre F-35A et Eurofighter Typhoon
Militairement, les caractéristiques techniques des deux avions répondent à des besoins différents. Le F-35A est optimisé pour la pénétration de l’espace aérien ennemi dès les premières heures d’un conflit, grâce à sa furtivité radar et ses capacités de guerre électronique. Il transporte jusqu’à 8 160 kg de charge utile interne et externe, avec une autonomie de 2 200 km sans ravitaillement.
Par comparaison, le Eurofighter Typhoon atteint une vitesse maximale de Mach 2 (environ 2 450 km/h) contre Mach 1,6 (1 975 km/h) pour le F-35A. Son plafond opérationnel dépasse les 16 800 mètres, contre 15 240 mètres pour le F-35A.
Pour les missions d’alerte rapide (Quick Reaction Alert, QRA) comme l’interception d’appareils russes approchant l’espace aérien britannique, la montée rapide et la vitesse supersonique sont prioritaires. Dans ce contexte, le Typhoon reste mieux adapté que le F-35A.
Illustration : lors d’exercices OTAN de 2023, un Eurofighter Typhoon a intercepté un bombardier russe Tu-95 en moins de 15 minutes après décollage, démontrant son avantage en montée et vitesse.
Le coût d’acquisition et d’exploitation : F-35A moins cher que F-35B
Les coûts économiques sont un argument clé dans le débat. Le F-35A est estimé à 15 % moins cher à l’achat que le F-35B. En 2024, le coût unitaire du F-35A est estimé à 85 millions d’euros contre 100 millions d’euros pour le F-35B.
Concernant l’exploitation, le coût horaire d’un F-35A est estimé à 26 000 euros contre 28 200 euros pour le F-35B, soit 8 % d’économie sur les frais d’utilisation.
Avec une flotte projetée de 74 appareils, basculer vers le F-35A pourrait représenter une économie directe de 1,11 milliard d’euros sur 30 ans (achat et exploitation cumulés), selon une analyse basée sur les chiffres du UK Defence Procurement Office.
Cependant, le choix du F-35A restreindrait l’usage naval, étant incapable de décoller depuis les porte-avions britanniques sans catapulte et brins d’arrêt, ce qui rendrait un second porte-avions inutile.
Sécurité des programmes : risques autour du F-35
Le programme F-35 a été régulièrement exposé à des risques de fuite de données. Notamment, la société Exception PCB, propriété chinoise, a fourni des cartes électroniques sensibles pour le F-35 avant d’être retirée du programme. De plus, selon des rapports du Pentagon Cybersecurity Review, plus de 30 téraoctets de données relatives au F-35 et au F-22 auraient été volés par des cyberattaques attribuées à des entités chinoises.
Ces données auraient notamment contribué au développement des chasseurs chinois FC-31 et J-35, qui reprennent plusieurs caractéristiques aérodynamiques et électroniques observées sur le F-35.
Conséquence directe : le risque que des adversaires disposent de signatures radar ou de contre-mesures efficaces contre le F-35 augmente, ce qui pourrait limiter son avantage technologique sur le long terme.
Par ailleurs, la possibilité que Türkiye réintègre le programme F-35 reste une menace stratégique. Possédant les systèmes russes S-400, Ankara présente un risque d’exposition des données furtives aux autorités russes, ce qui compromettrait la supériorité du F-35 dans les zones de contestation comme l’Europe orientale.

Impacts diplomatiques : tensions avec l’Europe et les États-Unis
Un choix massif pour le F-35 plutôt que pour l’Eurofighter aurait des répercussions diplomatiques majeures. L’Allemagne, par l’intermédiaire d’Airbus Defence and Space, milite pour un soutien accru au Typhoon pour garantir la pérennité industrielle européenne jusqu’en 2040.
Le projet Global Combat Air Programme (GCAP), mené par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, vise à mettre en service un avion de sixième génération en 2035. Pour cela, une transition ordonnée des effectifs et des budgets industriels est indispensable.
Favoriser massivement le F-35 aujourd’hui pourrait fragiliser la capacité industrielle européenne à maintenir ses compétences aéronautiques jusqu’à l’arrivée du GCAP.
Conséquence projetée : un affaiblissement de la souveraineté technologique européenne dans les aéronefs de combat de nouvelle génération, et une dépendance accrue vis-à-vis des technologies américaines.
En parallèle, une politique d’achat trop marquée en faveur du Typhoon pourrait irriter une future administration américaine, notamment si Donald Trump redevenait président. Sous sa première présidence, il a exercé des pressions directes pour favoriser les achats d’armement américain par les alliés européens.
Perspective industrielle : rationalisation avant GCAP
Le retrait progressif des Eurofighter Tranche 3 à partir de 2035 est déjà programmé dans les forces britanniques. Maintenir une flotte mixte composée de F-35A et de futurs GCAP semble logique d’un point de vue opérationnel.
Exemple concret : en 2040, le Royaume-Uni prévoit d’opérer 60 F-35A et 80 GCAP, avec un nombre limité d’Eurofighter survivants en réserve, selon les projections du UK Ministry of Defence.
Une transition industrielle fluide est impérative pour éviter une perte de compétences dans la fabrication d’avions de combat, estimée à un seuil critique de 5 ans d’inactivité industrielle, selon une étude de ADS Group (Association of the British Aerospace Industry).
Un investissement dans l’optimisation des chaînes de production actuelles permettrait de préparer efficacement le passage vers la production de masse du GCAP sans rupture technologique.
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