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Analyse l’impact économique, industriel et militaire de la guerre en Ukraine sur le développement des chasseurs russes SU-57 et SU-75.
Le contexte
La Russie affirme depuis plusieurs années vouloir moderniser sa flotte de chasseurs. Le SU-57, officiellement considéré comme un avion de cinquième génération, occupe déjà une place centrale dans les discussions militaires. Le projet SU-75, aussi surnommé « Checkmate », représente quant à lui une ambition plus récente: créer un appareil monomoteur abordable pour l’export. Toutefois, la situation économique russe et les sanctions internationales, renforcées par la guerre en Ukraine, soulèvent des questions sur la capacité réelle du pays à continuer ces développements.
L’état de l’industrie aéronautique russe
L’industrie aéronautique russe dépend d’un réseau de fournisseurs locaux et étrangers. Avant les sanctions, elle comptait sur l’importation de composants électroniques et sur plusieurs partenariats internationaux. Depuis 2022, l’accès à certaines technologies critiques est limité. Les entreprises russes doivent donc réorganiser leurs chaînes d’approvisionnement, ce qui peut ralentir la production.
Selon diverses estimations, le budget de la défense russe pour 2023 s’élèverait à environ 66 milliards d’euros. Une partie substantielle de ce budget doit couvrir les coûts opérationnels liés à la guerre en Ukraine. Les ressources financières allouées aux programmes aériens sont donc soumises à des arbitrages internes, car d’autres priorités (chars, artillerie, munitions) mobilisent également des fonds.
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Les défis financiers
Les restrictions bancaires imposées à la Russie compliquent le financement de projets de grande envergure. Les grandes sociétés d’armement, comme Rostec et United Aircraft Corporation (UAC), font face à des difficultés pour sécuriser des prêts internationaux. Les taux d’intérêt en Russie peuvent grimper, ce qui renchérit le coût du capital. Par ailleurs, la chute du rouble accentue la pression sur les importations de composants payés en devises étrangères. Pour l’instant, ces sociétés maintiennent leurs annonces de développement, mais leur calendrier reste incertain.
Les contraintes technologiques
L’accès limité aux semi-conducteurs de haute performance et à certaines machines-outils freine l’évolution de projets comme le SU-57. Par exemple, le radar AESA (Active Electronically Scanned Array) exige des composants électroniques sensibles, souvent produits hors de Russie. De plus, la motorisation du SU-57, incluant le moteur Izdeliye 30, requiert des matériaux spéciaux. Sans un approvisionnement stable, la cadence de production est compromise. Le projet SU-75, vanté pour sa compétitivité sur le marché international, nécessite lui aussi une chaîne logistique fiable pour tenir ses promesses d’économies et de performances.
L’impact de la guerre en Ukraine
Les opérations militaires en Ukraine absorbent une partie importante des ressources humaines et financières. L’industrie de défense est sollicitée pour la production de missiles, de drones et de pièces de rechange pour l’aviation existante. Les usines qui pourraient se consacrer à la construction ou à l’assemblage d’avions de chasse sont parfois réorientées vers la maintenance d’équipements déjà engagés.
Les retombées sur la production
Le programme SU-57 accuse déjà un retard. Au départ, l’armée de l’air russe espérait intégrer 76 appareils d’ici 2028. Certaines sources estiment que moins d’une dizaine d’unités volaient réellement fin 2022. Les retards sont liés aux difficultés de mise au point du moteur définitif et au manque de composants électroniques. La guerre en Ukraine ne facilite pas la tâche, car les ingénieurs et les techniciens les plus qualifiés sont parfois mobilisés ou affectés à d’autres postes prioritaires.
Les conséquences sur l’export
La Russie compte sur les exportations d’avions de chasse pour rentabiliser ses investissements. L’Inde, l’Algérie et d’autres pays d’Asie ou d’Afrique ont exprimé un intérêt pour des appareils avancés. Toutefois, les sanctions bancaires rendent plus complexe le règlement de contrats en euros ou en dollars. De plus, la réputation du matériel russe a pu être affectée par les performances observées sur le terrain ukrainien, même si les chasseurs de dernière génération ne sont pas déployés en masse. Le SU-75, présenté comme un chasseur à coût raisonnable, peine à séduire sans une preuve tangible de ses performances.
Le programme SU-57
Le SU-57 est censé rivaliser avec des avions comme le F-22 ou le F-35. Doté d’une furtivité partielle et d’un radar avancé, il vise à combiner polyvalence et puissance de feu. Pourtant, plusieurs signaux indiquent que la Russie n’a pas encore atteint la maturité technologique souhaitée.
- Motorisation: Le moteur Izdeliye 30 est censé améliorer la poussée et la fiabilité. Son développement accuse néanmoins plusieurs années de retard, ce qui oblige les premiers SU-57 à voler avec un moteur AL-41F modifié.
- Avionique: Le système de conduite de tir nécessite des microprocesseurs de qualité supérieure. La plupart de ces composants venaient d’entreprises étrangères, désormais inaccessibles.
- Production: Le chiffre précis de SU-57 produits reste incertain. Les estimations varient entre 16 et 20 exemplaires construits, mais seulement une poignée seraient en service actif.
Malgré cela, la Russie cherche à promouvoir le SU-57 comme un fleuron de son industrie et espère convaincre des partenaires étrangers. Le pays mise sur le rapport coût-efficacité pour se distinguer des concurrents occidentaux. Mais l’économie du projet dépend d’évolutions technologiques coûteuses et de circuits d’approvisionnement compliqués.
Le projet SU-75
Le SU-75 « Checkmate » vise un segment moins onéreux que le SU-57. Il s’agit d’un chasseur monomoteur plus léger, avec un rayon d’action prévu d’environ 3 000 km et une charge utile de 7 tonnes. Son prix unitaire annoncé se situerait aux alentours de 25 à 30 millions d’euros, ce qui représenterait un avantage pour les pays à budget limité.
La maquette présentée en 2021 suscitait un certain intérêt, en particulier auprès de pays du Moyen-Orient et d’Afrique. UAC mentionnait une production à partir de 2026, mais aucune commande ferme n’a été confirmée à ce jour. Les sanctions internationales et la volatilité de la demande en font un pari risqué. Sans partenaires de développement extérieurs, le projet pourrait rester au stade de prototype pendant un long moment.
Les perspectives d’avenir
La Russie peut encore tirer parti de certaines spécialisations industrielles. Les ingénieurs russes ont accumulé de l’expérience sur la motorisation, l’aérodynamique et les missiles air-air. Cependant, la question du financement demeure centrale. Par ailleurs, la concurrence internationale est forte: la Chine progresse rapidement dans le domaine des chasseurs de cinquième génération, et les modèles occidentaux conservent une réputation solide.
Les opportunités de collaboration
La Russie pourrait chercher des alliances avec des pays souhaitant contourner les sanctions occidentales. L’Iran, par exemple, a besoin d’avions de combat modernes. La Turquie, bien qu’alliée de l’OTAN, a déjà affiché des velléités d’indépendance en s’équipant de matériel russe dans le passé. Néanmoins, un partenariat de grande envergure exigerait un cadre financier sûr, ce qui reste complexe au vu des restrictions internationales.
Les ajustements budgétaires
Pour mener à bien ces programmes, Moscou doit réviser la répartition de ses ressources. Des fonds supplémentaires sont nécessaires afin de financer la R&D et la production en série. Certains analystes russes suggèrent de reporter d’autres projets militaires pour sécuriser la modernisation aéronautique. Mais la situation en Ukraine crée une pression constante pour soutenir l’effort sur le terrain.
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La réalité pour le SU-57 et le SU-75
En l’état actuel, la viabilité de ces deux programmes dépend de la capacité de l’État à maintenir un flux de financement stable et à remplacer les composants technologiques étrangers. Le SU-57 pourrait voir sa production rester limitée si la Russie ne parvient pas à résoudre les difficultés liées aux moteurs et à l’électronique embarquée. Quant au SU-75, il est encore plus vulnérable aux changements de priorités budgétaires, faute de clients internationaux confirmés.
La guerre en Ukraine ajoute une pression supplémentaire sur le complexe militaro-industriel russe. Les dirigeants donnent la priorité aux besoins urgents du front plutôt qu’aux programmes de haute technologie. Par conséquent, la Russie devra certainement renoncer à produire en masse ses nouveaux chasseurs dans l’immédiat, ou alors accepter une baisse du rythme de fabrication et un report des ambitions export.
La conclusion évidente est que la Russie n’a pas nécessairement les moyens financiers et technologiques de poursuivre rapidement ses projets SU-57 et SU-75. Ces difficultés ne signifient pas un arrêt total, mais elles prolongent les délais de réalisation et réduisent la confiance des partenaires potentiels. Les programmes continuent d’exister sur le papier, mais leur concrétisation dépendra de compromis économiques difficiles et de sources d’approvisionnement alternatives.
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