Syrie: une plongée dans la violence

Syrie: une plongée dans la violence

Le retour des loyalistes pro-Assad en Syrie ravive un conflit sanglant. Analyse technique, militaire et géopolitique d’une crise en escalade.

Depuis la chute du régime de Bashar al-Assad en décembre, la Syrie connaît une reprise violente des combats, notamment dans la région côtière de Latakia et Tartus. Des groupes armés fidèles à l’ancien président affrontent les forces de la nouvelle administration islamiste. Les pertes humaines sont importantes, avec plus de 240 morts en deux jours, dont 125 civils exécutés. Ce regain de violence révèle des failles sécuritaires majeures, des fractures communautaires profondes, et réactive des enjeux militaires régionaux cruciaux, notamment pour la Russie et la Turquie. L’affrontement dépasse désormais le cadre syrien pour redevenir un dossier stratégique international.

La reprise des combats en Syrie : une dynamique interne ravivée

La réactivation des combats en mars 2025 marque un tournant critique. Le bilan humain est déjà lourd. Selon le Syrian Network for Human Rights (SNHR), 125 civils ont été exécutés par les forces du gouvernement actuel dans la région côtière. En parallèle, 100 membres des forces de sécurité syriennes ont été tués par les factions fidèles à Bashar al-Assad, accompagnés de 15 civils tués dans les attaques. Ces chiffres traduisent une dégradation brutale de la sécurité intérieure, rappelant les premières années du conflit syrien.

L’intensité des combats s’est concentrée autour de Latakia, Tartus, Jableh, Qardaha et Baniyas. Ces localités sont historiquement favorables à la famille Assad et abritent une majorité alaouite, minorité religieuse à laquelle appartient l’ancien président. La région, longtemps perçue comme un bastion loyaliste, devient désormais un terrain de guerre interne, révélant l’échec du désarmement post-chute du régime.

Cette insurrection partielle structurée prouve que les réseaux militaires de l’ancien régime n’ont pas été complètement démantelés. Les vidéos géolocalisées par la BBC confirment une prise de zones militaires, la dégradation de postes de commandement et des opérations coordonnées menées depuis les montagnes de Latakia. Des images montrent aussi l’utilisation de mitrailleuses lourdes, de véhicules blindés, et de lance-roquettes, ce qui suggère des caches d’armement non neutralisées.

En réponse, le gouvernement intérimaire a mobilisé des hélicoptères d’assaut, des drones armés, de l’artillerie lourde et déployé plusieurs milliers de soldats supplémentaires depuis Damas. L’usage intensif de moyens aériens contre des cellules rebelles internes souligne l’ampleur du risque sécuritaire.

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Conséquences politiques et communautaires de la nouvelle flambée de violence

Cette nouvelle guerre intestinale révèle des fractures communautaires persistantes. Les tensions entre le pouvoir islamiste de transition et les zones alaouites historiquement pro-Assad ravivent une polarisation sectaire forte.

Les exactions contre des civils — notamment 40 personnes exécutées à al-Mukhtariya — risquent de radicaliser durablement une partie de la population alaouite. Dans un pays où les tensions confessionnelles ont déjà été instrumentalisées depuis 2011, cette dynamique est particulièrement dangereuse. Les discours officiels des autorités de transition, appelant à la réconciliation, semblent en décalage avec les opérations militaires punitives sur le terrain.

La déstructuration du tissu communautaire syrien s’aggrave. Dans les zones rurales de Homs et Latakia, des représailles contre les familles jugées favorables à l’ancien régime deviennent une variable de vengeance locale incontrôlable. La dynamique de guerre civile asymétrique risque de s’ancrer durablement, avec des zones de guérilla urbaine, des maquis ruraux, et des actes de représailles collectives.

Sur le plan politique, cette situation délégitime partiellement le pouvoir islamiste nouvellement en place, qui peine à garantir la sécurité de tous les Syriens. L’appel du président Ahmed al-Sharaa à ne pas répondre par la violence ne suffit pas à contenir une armée de terrain qui agit parfois sans encadrement clair.

Enfin, la multiplication des foyers de contestation, notamment au sud du pays (zones druzes) ou au nord-est (territoires kurdes), laisse présager une désintégration progressive de l’autorité centrale, phénomène déjà observé en Libye ou au Yémen.

Enjeux militaires et géopolitiques liés à la région côtière syrienne

Au-delà de la violence intérieure, la dimension géostratégique de la région côtière syrienne est déterminante. Tartus et Khmeimim, bases navale et aérienne russes, sont des atouts majeurs pour Moscou dans la Méditerranée orientale. Tartus reste le seul port russe en eaux chaudes en Méditerranée. Khmeimim a servi de plateforme opérationnelle pour les frappes russes depuis 2015.

La recrudescence des affrontements autour de ces sites met en péril la continuité logistique et opérationnelle russe. Depuis 2022, une partie des troupes russes a été redéployée vers l’Ukraine, réduisant leur capacité de dissuasion régionale.

Pour maintenir leur influence, les Russes devront négocier un accord de coopération sécuritaire avec le gouvernement de transition, ou envisager un retour partiel de leurs forces. Cependant, le contexte ukrainien rend un engagement militaire fort peu probable à court terme. L’option privilégiée serait donc le soutien économique et technologique, en échange du maintien des accès aux infrastructures militaires.

Par ailleurs, la Turquie, soutien officiel du gouvernement intérimaire, multiplie les incursions au nord. Mais ses objectifs kurdes limitent sa capacité à s’investir ailleurs. Les États-Unis, soutiens traditionnels des Kurdes, n’interviennent pas dans cette zone, créant une rivalité indirecte sur la répartition des sphères d’influence.

Israël, quant à lui, a intensifié ses opérations dans le sud syrien, profitant du chaos pour étendre sa zone tampon. Ces interventions israéliennes s’inscrivent dans une logique de sécurisation du Golan et de dissuasion iranienne.

Syrie: une plongée dans la violence

Perspectives de désintégration ou de réorganisation du pouvoir syrien

La situation actuelle met en lumière l’absence de consolidation institutionnelle du nouveau pouvoir syrien. Si les assauts rebelles pro-Assad sont contenus militairement, ils révèlent que l’appareil d’État reste faible, fragmenté et vulnérable. Le gouvernement islamiste de transition ne dispose ni d’une armée unifiée, ni d’un contrôle administratif homogène du territoire.

Les groupes armés communautaires agissent parfois en autonomie totale, remettant en cause toute perspective de centralisation du pouvoir. Le risque est donc réel de voir émerger une mosaïque de zones d’influence rivales, dominées localement par des milices, comme c’est déjà le cas dans l’est de la Libye ou dans certaines régions irakiennes.

Une décentralisation forcée pourrait donc s’installer, avec des rapports de force locaux, des accords sécuritaires ponctuels, et une absence de gouvernance nationale structurée.

L’absence de reconstruction économique et les blocages internationaux sur l’aide humanitaire, liés au flou politique, accentuent cette désintégration. En mars 2025, le PIB syrien par habitant reste estimé à moins de 900 € par an, un niveau inférieur de 60 % à celui de 2010. La pénurie de biens essentiels, l’inflation (estimée à près de 135 % sur un an), et la dollarisation rampante de l’économie aggravent la précarité de la population.

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