
Analyse détaillée des exercices militaires chinois “Strait Thunder-2025A” autour de Taïwan, leurs implications stratégiques et les réactions internationales.
Début avril 2025, la Chine a intensifié ses activités militaires autour de Taïwan en lançant les exercices “Strait Thunder-2025A”. Ces manœuvres ont impliqué un nombre significatif d’aéronefs et de navires, franchissant la ligne médiane du détroit de Taïwan et pénétrant dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) taïwanaise. Taïwan a réagi en déployant ses propres forces pour surveiller et répondre à ces incursions. Ces exercices reflètent une escalade des tensions dans la région, avec des implications stratégiques majeures pour la sécurité régionale et internationale.
Contexte et déroulement des exercices “Strait Thunder-2025A”
Le 2 avril 2025, le ministère de la Défense nationale de Taïwan a signalé une activité militaire chinoise accrue autour de l’île. Au cours des 24 heures précédentes, 76 aéronefs militaires chinois, 15 navires de guerre et 4 navires gouvernementaux ont été détectés opérant à proximité de Taïwan. Parmi ces aéronefs, 37 ont franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan, pénétrant dans les secteurs nord, centre, sud-ouest et est de l’ADIZ taïwanaise.
Ces mouvements coïncident avec le lancement par le Commandement du Théâtre Est de l’Armée populaire de libération (APL) chinoise des exercices militaires baptisés “Strait Thunder-2025A”. Selon le colonel principal Shi Yi, porte-parole de ce commandement, ces exercices se sont concentrés sur des entraînements tels que l’identification et la vérification, l’avertissement et l’expulsion, ainsi que l’interception et la détention, visant à tester les capacités des troupes en matière de contrôle régional, de blocus conjoint et de frappe de précision.

Réactions et mesures prises par Taïwan
Face à cette démonstration de force, les forces armées taïwanaises ont répondu par des sorties aériennes, des patrouilles maritimes et le déploiement de systèmes de missiles terrestres, maintenant une posture défensive tout en évitant l’escalade. Le ministère de la Défense de Taïwan a déclaré avoir surveillé la situation de près et pris les mesures appropriées en réponse aux activités de l’APL.
Taïwan a également condamné ces exercices, accusant la Chine d’être un “fauteur de troubles” dans la région. Ces actions ont suscité des préoccupations au niveau international, notamment de la part des États-Unis, du Japon, de l’Union européenne et du Royaume-Uni, qui ont exprimé leur inquiétude quant à la stabilité régionale.
Implications stratégiques des exercices chinois
Les exercices “Strait Thunder-2025A” s’inscrivent dans une série de manœuvres militaires chinoises visant à exercer une pression accrue sur Taïwan. L’implication de l’aéronef porte-avions Shandong dans ces exercices souligne la capacité de la Chine à projeter sa puissance militaire au-delà de ses côtes. Le groupe aéronaval du Shandong a mené des opérations dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan, démontrant la capacité de l’APL à effectuer des opérations conjointes complexes.
Ces exercices reflètent également une tendance à la normalisation des incursions de l’APL dans l’ADIZ taïwanaise. Selon le projet ChinaPower du CSIS, ces incursions sont devenues plus fréquentes, avec des pics notables en mars 2025. Cette stratégie vise à éroder la capacité de réponse de Taïwan et à signaler la désapprobation de Pékin envers les actions du président taïwanais Lai Ching-te, considéré par la Chine comme un “séparatiste”.
Conséquences pour la sécurité régionale et internationale
L’intensification des activités militaires chinoises autour de Taïwan a des répercussions significatives sur la sécurité régionale. Les États-Unis ont réaffirmé leur engagement envers la défense de Taïwan, envoyant des signaux clairs à Pékin concernant leur opposition à toute tentative de modifier unilatéralement le statu quo dans le détroit de Taïwan. Le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, a souligné l’importance de dissuader l’agression chinoise dans la région.
Par ailleurs, la communauté internationale, y compris le G7 et l’Union européenne, a exprimé ses préoccupations quant aux actions de la Chine, les considérant comme des facteurs de déstabilisation susceptibles d’affecter la paix et la prospérité mondiales.
Intensification des capacités de défense taïwanaises face aux incursions chinoises
Taïwan a renforcé ses capacités de défense au cours des dernières années, en réponse directe à l’augmentation des pressions militaires de la Chine continentale. Le budget de la défense taïwanaise pour 2024 a été porté à 19,1 milliards d’euros (environ 20,9 milliards de dollars), soit 2,5 % du PIB, selon le ministère de la Défense nationale de Taïwan. Cette hausse budgétaire s’accompagne d’un réarmement ciblé, soutenu notamment par des livraisons américaines.
Parmi les achats récents, 66 chasseurs F-16V de Lockheed Martin, d’une valeur de 6,9 milliards d’euros, sont attendus d’ici 2026. Ces appareils seront dotés de radars AESA, de systèmes de guerre électronique modernes, et de capacités de tir longue portée. Par ailleurs, Taïwan développe également son propre système de missiles sol-sol à longue portée comme le missile Hsiung Feng IIE, avec une portée estimée à 1 200 kilomètres, capable d’atteindre des cibles dans l’intérieur des terres chinoises.
En parallèle, l’armée de l’air taïwanaise organise plus de 2 900 sorties annuelles de surveillance et d’interception pour répondre aux incursions chinoises. Chaque sortie mobilise entre 5 000 et 7 000 euros de carburant, maintenance et logistique, ce qui alourdit considérablement le coût opérationnel de la défense quotidienne du territoire aérien.
Face à la menace navale, Taïwan a également lancé en 2023 la construction de son premier sous-marin à propulsion indépendante de l’air (AIP), l’Haikun, conçu avec l’aide de technologies occidentales. Ce programme, d’un coût total estimé à 1,3 milliard d’euros, vise à doter Taïwan de 8 unités d’ici 2035, pour renforcer les capacités de dissuasion sous-marine dans le détroit.
Enfin, l’île investit également dans le développement d’un réseau intégré de défense aérienne et de systèmes antimissiles, comme les batteries américaines Patriot PAC-3, capables d’intercepter des missiles balistiques, de croisière et des drones.
Ces efforts traduisent une volonté claire de maintenir un rapport de force dissuasif dans un contexte où les manœuvres chinoises visent à réduire la marge de manœuvre stratégique de Taïwan. Le coût budgétaire, matériel et humain de ce maintien en alerte permanente n’est pas anodin et pose la question de la durabilité d’un tel effort sans soutien international accru.
Réactions des puissances internationales et pressions géopolitiques croissantes
Les exercices militaires chinois autour de Taïwan, combinés à une augmentation constante des incursions dans l’ADIZ, entraînent une mobilisation croissante des puissances occidentales. Les États-Unis, en particulier, ont réaffirmé leur position stratégique via le Taiwan Relations Act, qui oblige Washington à fournir à Taïwan les moyens de se défendre.
En 2023, le Congrès américain a validé une enveloppe de 7,1 milliards d’euros en aides militaires destinées à renforcer la sécurité de Taïwan, incluant des ventes d’armes, du conseil stratégique et du transfert technologique. Des missions de surveillance maritime, telles que les Freedom of Navigation Operations (FONOPs) menées dans le détroit de Taïwan, illustrent cette posture. En 2024, 11 opérations FONOPs ont été recensées, en hausse de 37 % par rapport à 2022.
Le Japon, également concerné par la stabilité du détroit de Taïwan en raison de la proximité des îles Ryukyu, a modifié sa doctrine de défense en 2022, en autorisant des frappes préventives contre les menaces régionales. Tokyo a par ailleurs établi une base radar à Yonaguni, à seulement 110 kilomètres des côtes taïwanaises, pour surveiller les mouvements chinois.
L’Union européenne, bien que plus prudente, a exprimé par voie diplomatique ses inquiétudes. En mars 2025, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les manœuvres chinoises comme étant “agressives” et “destabilisatrices”. Plusieurs pays européens, dont la France et l’Allemagne, ont envoyé des frégates dans la région Indo-Pacifique, à l’instar du Chevalier Paul et du Bayern, pour appuyer la liberté de navigation et renforcer leur présence stratégique.
Cependant, l’engagement européen reste limité par une dépendance économique vis-à-vis de la Chine. En 2023, les échanges commerciaux entre l’UE et la Chine représentaient 822 milliards d’euros, soit 15 % du commerce extérieur de l’Union.
Ces positionnements mettent en lumière un équilibre stratégique précaire entre intérêts économiques et exigences sécuritaires, où chaque acteur tente de dissuader l’agression sans provoquer de confrontation directe.

Usure stratégique et tactique de la défense taïwanaise : une guerre d’attrition latente
L’un des effets recherchés par les incursions répétées de l’APL dans l’espace aérien taïwanais semble être une usure méthodique des capacités opérationnelles de Taïwan. Cette stratégie, décrite par plusieurs analystes comme une guerre d’attrition par pression constante, vise à épuiser les ressources humaines, techniques et financières de l’armée taïwanaise.
Le maintien en alerte permanente impose à l’armée de l’air taïwanaise de mobiliser ses équipages, entretenir ses appareils à un rythme accéléré, et renouveler plus fréquemment ses stocks de carburant, munitions et pièces détachées. En moyenne, une mission d’interception coûte entre 6 000 et 9 000 euros, ce qui, multiplié par des centaines d’opérations annuelles, représente plusieurs centaines de millions d’euros.
À cela s’ajoute l’usure du matériel. Les F-16A/B actuellement utilisés ont en moyenne 25 ans d’activité. Chaque cycle de maintenance majeur coûte environ 2 millions d’euros par appareil, ce qui pèse sur un budget déjà sollicité par la modernisation de la flotte.
Au niveau humain, le rythme élevé des missions crée une fatigue opérationnelle chez les pilotes, les techniciens au sol et les équipes de commandement. Taïwan fait face à une pénurie de personnel qualifié, exacerbée par une démographie déclinante : en 2024, le taux de natalité est tombé à 0,87 enfant par femme, l’un des plus bas au monde. Cela réduit le vivier de recrutement pour les forces armées.
Cette stratégie chinoise a donc pour effet direct de gripper les mécanismes de défense taïwanais sans recours à un conflit ouvert, tout en rendant plus difficile la planification d’une défense de long terme. Ce type d’agression hybride, utilisant des moyens militaires dans une logique non déclarée de confrontation, constitue un défi complexe à contrer pour une démocratie insulaire de 23 millions d’habitants confrontée à un géant continental de 1,4 milliard.
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