
L’UE lance un plan à 800 milliards € pour relocaliser sa production d’armes et réduire sa dépendance aux États-Unis
L’Union européenne a présenté son plan « European Defense Readiness 2030 » pour renforcer son autonomie en matière de défense. Objectif : relocaliser la production d’armes en Europe, augmenter les budgets militaires et structurer une politique industrielle commune. Le projet mobilise 800 milliards d’euros, dont 650 milliards par l’augmentation des budgets nationaux et 150 milliards via un programme de prêts baptisé SAFE. Ce virage stratégique répond à la baisse de fiabilité des États-Unis comme fournisseur d’armement, notamment depuis les ruptures dans le soutien militaire à l’Ukraine, les menaces de retrait de troupes américaines et la dépendance technologique aux chaînes logistiques américaines. Le Canada pourrait rejoindre l’initiative. Le marché mondial des armements est donc en mutation profonde.

Une relocalisation militaire chiffrée à 800 milliards d’euros
Le plan « European Defense Readiness 2030 » repose sur un investissement total de 800 milliards d’euros. Ce montant comprend 650 milliards d’euros issus d’une hausse des budgets de défense, à hauteur de 1,5 % du PIB par État membre, et 150 milliards d’euros pour le programme de prêts SAFE.
Le budget SAFE vise à cofinancer des projets industriels dans des secteurs clés : défense antimissile, drones tactiques et stratégiques, cybersécurité, logistique de guerre électronique. L’augmentation des budgets pourrait faire passer la dépense militaire de l’UE de 290 milliards € (2022) à plus de 500 milliards € à l’horizon 2030.
Cette dynamique répond à une demande croissante. Le marché mondial de l’armement représentait en 2023 environ 570 milliards d’euros selon le SIPRI. Les exportations d’armes américaines en représentaient 41 %, contre 11 % pour la France et 7 % pour l’Allemagne. La volonté européenne est donc de réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseurs extérieurs, principalement américains.
Le projet SAFE s’inspire partiellement de mécanismes déjà existants comme l’EDIDP (European Defence Industrial Development Programme), mais avec une envergure budgétaire multipliée par 10. Ce nouveau levier pourrait permettre de structurer un véritable marché commun de la défense.
Conséquences pour les États-Unis : un recul chiffré dans les exportations d’armes
Ce projet européen pourrait provoquer une baisse massive des exportations d’armes américaines vers l’Europe, estimée à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. À titre d’exemple, le programme F-35 de Lockheed Martin concentre à lui seul près de 250 milliards d’euros de contrats internationaux, dont plus de 80 milliards rien qu’en Europe (Norvège, Danemark, Italie, Pays-Bas, Finlande, Belgique…).
Or, ces ventes sont fragilisées par des doutes croissants sur la pérennité du soutien logistique américain. Plusieurs parlementaires européens évoquent le risque de dépendance aux pièces détachées, aux logiciels de maintenance et aux réseaux cryptés américains.
L’ancien soutien américain à l’Ukraine, interrompu brutalement en 2019 pour des motifs politiques, a accentué les inquiétudes. La crainte est que des systèmes clés puissent devenir inopérants en cas de rupture de coopération. Le concept de « kill switch » dans les F-35, bien que démenti officiellement, illustre cette vulnérabilité.
Ce climat de méfiance technologique et stratégique contribue à réorienter les choix industriels européens vers des plateformes comme le Rafale (Dassault Aviation) ou le système de défense terrestre MGCS codéveloppé par la France et l’Allemagne.
Le rôle stratégique du Canada dans cette redirection industrielle
Le Canada, historiquement lié aux chaînes d’approvisionnement américaines, s’interroge désormais sur son positionnement industriel. Le gouvernement de Mark Carney a lancé un audit du contrat de 88 F-35 signé en 2023 pour 13,3 milliards d’euros. Ottawa envisage d’opter pour des alternatives comme le Saab JAS 39 Gripen, conçu en Suède, potentiellement produit localement au Canada.
Le Canada pourrait aussi intégrer le dispositif européen SAFE, bien qu’extra-européen, au titre des partenariats bilatéraux renforcés. Ce changement de cap reflète un réalignement de souveraineté technologique et industrielle.
En parallèle, le Canada a signé un accord avec l’Australie pour l’acquisition d’un système radar longue portée, confirmant son désir de diversifier ses fournisseurs et renforcer ses capacités de surveillance autonome. Cela marque une restructuration profonde de la doctrine de défense canadienne, historiquement adossée au Pentagone.
L’intégration du Canada dans le programme européen de production militaire pourrait renforcer l’industrialisation conjointe transatlantique hors cadre OTAN, créant une troisième voie stratégique.
Implications économiques et industrielles pour l’Europe
Le basculement vers une production locale massive de défense suppose une transformation industrielle lourde. Il nécessite des capacités accrues d’assemblage, de tests balistiques, de traitement de données cyberdéfense, de propulsion, d’optique et de robotique militaire.
Des groupes comme Airbus Defence & Space, Rheinmetall, Leonardo, Thales, ou KNDS (KMW + Nexter Defense Systems) sont les principaux bénéficiaires de cette réorientation. Leurs capitalisations boursières ont déjà bondi depuis l’annonce du plan, anticipant des carnets de commandes multipliés par deux d’ici 2030.
À titre d’exemple, Rheinmetall a vu son cours progresser de 42 % entre janvier 2023 et mars 2025, et Thales de 33 % sur la même période. Ces mouvements s’expliquent par les prévisions de croissance interne du marché européen, estimée à +8 % par an en moyenne d’ici 2030.
Mais ces gains supposent des investissements lourds en automatisation, en personnel qualifié et en recherche appliquée, notamment dans l’IA militaire, les matériaux composites et les missiles hypersoniques. L’objectif est de réduire les délais de production à 12 mois contre parfois 36 aujourd’hui.
Enfin, la logistique militaire européenne devra être revue : mutualisation des chaînes d’approvisionnement, interopérabilité des équipements, et standardisation des pièces seront les piliers d’un écosystème industriel soutenable.

Une redéfinition géopolitique des alliances occidentales
Ce virage stratégique de l’Europe s’inscrit dans une recomposition des alliances militaires. L’éventuelle retrait des États-Unis du commandement suprême de l’OTAN en Europe (SACEUR) aurait un effet structurant. L’UE se verrait contrainte de repenser la chaîne de commandement opérationnel et logistique, jusqu’ici fortement intégrée au système américain.
Cette autonomie européenne pose aussi la question du rôle de la Turquie et de la Corée du Sud, qui renforcent leurs positions sur le marché mondial de l’armement. La Turquie, avec le drone Bayraktar TB2, ou la Corée du Sud avec le chasseur KF-21 Boramae, sont des concurrents techniques de plus en plus crédibles.
Enfin, cette dynamique pourrait favoriser des accords de défense renforcés intra-européens, y compris hors cadre OTAN : France-Grèce, Allemagne-Pologne, Pays-Bas-Belgique, avec partage de plateformes, formations et logistique.
Le projet « Defense Readiness 2030 » reflète donc une mutation profonde de l’indépendance stratégique européenne, conditionnée par une rupture technologique et industrielle vis-à-vis du modèle américain.
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