
Voici une analyse détaillée des protocoles de sécurité en cas de défaillance des systèmes électroniques d’un avion de chasse moderne, avec données et exemples précis.
La sécurité opérationnelle d’un avion de chasse repose sur une redondance électronique rigoureuse. Mais même les systèmes de mission les plus avancés, dotés d’architecture fly-by-wire, de capteurs intégrés et de calculateurs inertiels multicœurs, peuvent connaître des défaillances. Ces incidents ne relèvent pas de la science-fiction, mais d’une réalité connue des pilotes de chasse et des ingénieurs. Des pannes critiques en vol ont déjà contraint des appareils à des retours d’urgence ou à des éjections. Face à ces risques, les forces aériennes mettent en place des protocoles structurés, normalisés et continuellement testés. Cet article examine ces dispositifs de sécurité, leur logique, leur mise en œuvre et les marges de manœuvre laissées au pilote de chasse. Loin des discours marketing des industriels, il s’agit ici de comprendre comment une chaîne de décisions techniques encadre les pannes électroniques en vol.
Le protocole de gestion de la panne électronique à bord
La logique de redondance intégrée aux systèmes de vol
Les systèmes électroniques embarqués sur un avion de chasse moderne (Dassault Rafale, Eurofighter Typhoon, F-35 Lightning II) sont conçus selon une architecture de redondance triple ou quadruple. Le système de commandes de vol est généralement fly-by-wire, sans liaison mécanique directe. En cas de défaillance d’un calculateur principal, un second ou un troisième reprend automatiquement le relais. Le Rafale utilise, par exemple, un triptyque de calculateurs numériques (CDVE) avec validation croisée. Chaque unité fonctionne sur une architecture indépendante avec des algorithmes de contrôle, alimentés par des capteurs différents. Si une unité sort des paramètres attendus, le système la désactive automatiquement et bascule sur les unités saines.
Les données de vol (altitude, vitesse, orientation, angle d’attaque, taux de roulis) sont en permanence surveillées par des centrales inertielles couplées à des capteurs de pression et des gyroscopes laser. Ces équipements sont eux-mêmes doublés, voire triplés. Le Rafale utilise une centrale SIGMA 95L de Safran, associée à des GPS militaires et des antennes de recalage.
Le rôle des procédures codifiées dans le cockpit
Chaque pilote de chasse reçoit une formation spécifique aux procédures de gestion de panne. Ces procédures, appelées « emergency checklists », sont intégrées dans les logiciels du système embarqué (MFD – Multi-Function Display) mais existent aussi sous forme manuscrite dans les cockpits. Lorsqu’une alarme s’active, le pilote suit une séquence définie : identification du type d’alarme, tentative de réinitialisation des circuits, transfert manuel de contrôle vers les systèmes secondaires, puis décision d’atterrissage immédiat ou poursuite du vol selon les seuils de criticité.
L’avion de chasse est aussi capable de s’auto-diagnostiquer. Le F-35, par exemple, utilise l’ALIS (Autonomic Logistics Information System) – remplacé par ODIN depuis 2020 – pour prédire les défaillances en croisant des milliers de données télémétriques.
Exemples concrets de gestion de défaillance
Lors d’un vol en 2018, un Typhoon britannique a connu une panne du système de navigation inertielle. Le pilote a basculé manuellement sur le mode radar terrain pour conserver la situation tactique et a utilisé une centrale inertielle secondaire pour rallier sa base. Le système principal a été désactivé par le calculateur lui-même après détection d’une dérive anormale des coordonnées GPS. Le retour a été effectué sans perte de contrôle, démontrant l’intérêt d’une redondance rigoureusement testée.

La gestion du facteur humain en environnement dégradé
Le rôle de l’entraînement au pilotage en mode dégradé
Les simulateurs tactiques des forces aériennes incluent des modules spécifiques de vol en mode dégradé. Ces sessions reproduisent des pannes de MFD, de CDVE, de radio UHF/VHF, voire d’oxygène embarqué (OBOGS). Le but est de forcer le pilote de chasse à gérer une perte d’information sans désorganisation mentale. Les armées de l’air imposent au minimum 2 séances par trimestre de formation en conditions de panne majeure, souvent en binôme avec un instructeur.
La Royal Air Force, par exemple, impose 10 heures par an en mode « failure intensive simulation », combinant pannes successives, dégradation météo et brouillage électronique. Le retour d’expérience prouve que la performance du pilote, même dans des systèmes très automatisés, reste centrale dès qu’une défaillance intervient.
La question du seuil de décision : continuer ou interrompre ?
Le pilote de chasse doit évaluer la criticité de la défaillance. Un radar AESA inopérant ou un IFF défectueux ne justifient pas forcément un abandon de mission. En revanche, une panne simultanée des systèmes de vol ou d’identification peut conduire à une décision d’atterrissage immédiat ou d’éjection. Sur Rafale, les données critiques (CDVE, OBOGS, EPU) sont classées selon un protocole de criticité en trois niveaux. Le niveau 1 impose un retour immédiat. Le niveau 2 autorise un maintien en vol court avec plan de déroutement. Le niveau 3 autorise le maintien de mission.
En 2017, un Mirage 2000-5 de l’armée de l’Air a dû interrompre une mission après une alerte de système hydraulique secondaire. La décision a été prise en 45 secondes, sur une séquence standardisée. Le retour s’est fait sans alarme supplémentaire, mais la procédure a démontré l’impact d’un protocole rigoureux sur la sécurité globale du vol.
Ejection ou récupération : seuils d’action extrême
Le dernier protocole reste l’éjection. Le siège éjectable (ex. : Martin-Baker MK16, zéro-zéro) est activable en moins de 0,4 seconde. Il garantit une éjection même à vitesse nulle et altitude nulle. Le coût d’un siège complet dépasse 320 000 € et chaque capsule de survie est équipée pour 72 heures d’autonomie. La décision d’éjection est strictement personnelle, mais s’appuie sur des critères prédéfinis : perte de contrôle irréversible, panne cumulée des commandes de vol, incendie interne. Les forces aériennes estiment à 1 éjection pour 2 800 heures de vol sur Rafale et 1 pour 2 100 heures sur Typhoon.

Une chaîne fonctionnelle, pas infaillible
Les protocoles de sécurité face à une défaillance des systèmes électroniques d’un avion de chasse ne relèvent pas de simples automatismes. Il s’agit d’un enchaînement d’actions humaines, de redondances logicielles, de surveillance continue et d’arbitrages tactiques. Les coûts de maintenance de ces systèmes sont élevés : un check complet des systèmes inertiels coûte en moyenne 12 000 € par appareil. La robustesse des équipements n’annule pas le risque, mais elle réduit le facteur d’incertitude. À l’heure des guerres électroniques et des menaces cyber, la capacité à maintenir une cohérence fonctionnelle en vol reste un critère stratégique. Le pilote, formé à des scénarios réalistes, demeure l’acteur principal de cette gestion du risque.
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