
L’UE investit 27,5 M€ pour sécuriser Galileo face aux brouillages russes, avec des upgrades critiques du centre de Noordwijk.
L’Union européenne investit massivement dans le renforcement technique de son système de géolocalisation Galileo. En réaction aux brouillages GPS croissants attribués à la Russie, Bruxelles modernise son Galileo Reference Centre (GRC) aux Pays-Bas avec un budget de 27,5 millions d’euros. Le contrat inclut des améliorations de surveillance en temps réel, des systèmes anti-spoofing, d’alerte d’urgence par satellite et une sécurisation renforcée contre les cyberattaques. Cette modernisation s’intègre à un plan plus large d’upgrades du segment sol et spatial de Galileo, tandis que les perturbations GNSS s’intensifient autour des zones baltiques et de l’Europe du Nord, affectant vols civils et militaires. L’objectif : gagner en autonomie stratégique, limiter la dépendance au GPS américain et assurer la fiabilité de la navigation européenne.

Une réponse technologique face aux brouillages russes
L’intensification des brouillages GPS observée depuis 2022, notamment dans les zones de conflit ou proches des frontières russes, constitue une menace directe pour la navigation civile et les opérations militaires européennes. En mars 2024, une perturbation de 63 heures a affecté plus de 1 600 vols commerciaux en Europe, provoquant des déroutements et des pertes de signal sur des couloirs aériens fréquentés, notamment entre la Finlande, la Lettonie et la Pologne. Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie de guerre électronique, où la saturation des signaux GNSS crée des zones de navigation non fiables.
Les signaux Galileo, comme ceux du GPS ou du GLONASS, sont des signaux faibles (environ -130 dBm à réception) et facilement écrasés par un brouilleur terrestre émettant à quelques watts. Les équipements militaires, mais aussi civils (avions, navires, voitures connectées), deviennent vulnérables dès que l’environnement radioélectrique est déstabilisé. Le recours à des technologies de spoofing, qui imitent des signaux GNSS valides, ajoute un risque critique de désinformation de la position, souvent indétectable par les utilisateurs classiques.
Le renforcement du centre de Noordwijk, qui surveille et analyse la qualité des signaux Galileo, s’inscrit dans cette dynamique de résilience technique. Il passera d’un contrôle post-traité à une surveillance en temps réel, permettant d’identifier les perturbations et alerter les utilisateurs plus rapidement. Actuellement, ces délais peuvent atteindre plusieurs heures ; l’objectif est de réduire ce temps à quelques minutes, un point critique en cas de conflit ou de crise aérienne.
Vers une autonomie européenne de positionnement satellitaire
Galileo se distingue des autres systèmes GNSS par sa gouvernance civile. Il comprend actuellement 27 satellites opérationnels en orbite moyenne terrestre (MEO) à 23 222 km d’altitude, offrant une précision horizontale de 20 cm. Le système vise à réduire la dépendance au GPS américain (géré par l’US Air Force) et au GLONASS russe, dans un contexte où les enjeux de souveraineté technologique se renforcent.
En parallèle du centre néerlandais, une montée en puissance du segment sol de Galileo est en cours. En 2024, des sites clés ont été renforcés en Belgique, dans l’océan Indien (La Réunion) et en Norvège, avec 11 nouvelles stations au programme pour 2025. Le GNSS Service Centre de Madrid bénéficie également d’un contrat de 35 millions d’euros pour moderniser son infrastructure.
Sur le plan spatial, 8 nouveaux satellites Galileo seront lancés entre 2024 et 2026, renforçant la robustesse du signal et la disponibilité de service. Le développement de la deuxième génération Galileo (G2G) est déjà engagé : capacité de géolocalisation renforcée, résistance aux interférences accrue, signaux authentifiés nativement, et meilleure compatibilité avec les applications IoT. Cette seconde génération devrait débuter ses tests en orbite d’ici 2026, avec une mise en service progressive.

Conséquences stratégiques et enjeux géopolitiques
Le choix de prioriser l’indépendance GNSS européenne reflète un changement d’approche stratégique. Les États membres de l’UE comprennent désormais que la maîtrise des infrastructures critiques comme la géolocalisation est un vecteur d’autonomie décisionnelle, en particulier en cas de crise OTAN ou rupture transatlantique.
Les interférences russes démontrent que le GNSS est un champ de confrontation hybride, où la technologie civile devient une cible tactique. Une panne de positionnement peut interrompre les chaînes logistiques, perturber les systèmes ferroviaires automatisés, compromettre les plans de vol civils, ou altérer les données de combat sur le terrain. En 2023, plusieurs rapports de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) ont noté une hausse de près de 200 % des incidents GNSS en Europe de l’Est.
Le renforcement de Galileo permet donc de relocaliser la capacité de diagnostic et de réaction en Europe, sans attendre une réponse des États-Unis ou des fournisseurs tiers. L’ajout d’un service d’authentification de signal (OSNMA) répond aussi aux risques croissants de spoofing, notamment dans les ports ou aéroports internationaux.
Enfin, l’intégration d’un service d’alerte d’urgence par satellite, sur le modèle du Japanese QZSS Disaster Warning System, offrira une capacité de notification en cas de séisme, tsunami ou attaque chimique, sans dépendre des infrastructures au sol. Cette capacité est essentielle pour assurer la résilience des populations en zone à risque.
Perspectives industrielles et enjeux économiques
Le renforcement du système Galileo bénéficie aussi à l’industrie spatiale et numérique européenne. Le contrat de 27,5 millions d’euros attribué à GMV, société espagnole spécialiste des systèmes de contrôle GNSS, s’intègre dans un marché global estimé à plus de 300 milliards d’euros en 2024 (selon le GSA Market Report). Le secteur des services GNSS représente à lui seul 10 % du PIB numérique européen, avec des applications dans le transport, la logistique, les drones, l’agriculture de précision et la mobilité autonome.
Chaque évolution technologique de Galileo favorise aussi l’innovation dans les secteurs aval : capteurs GNSS multibandes, modules anti-spoofing, solutions cloud-SDR, etc. À moyen terme, cette dynamique pourrait réduire les parts de marché des modules GPS US dans les équipements civils européens, en faveur d’une chaîne de valeur plus locale.
Le déploiement de Galileo G2G, son interopérabilité croissante avec BeiDou et GPS III, et les investissements publics prévus dans le Green Deal numérique européen renforcent cette trajectoire industrielle. La montée en compétence des acteurs européens du GNSS pourrait également jouer un rôle dans la reconquête de souveraineté technologique dans un contexte d’instabilité géopolitique croissante.
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