
Ottawa envisage d’annuler son achat de F-35A en réponse aux tensions commerciales avec Washington et explore d’autres options.
Le gouvernement canadien réévalue son engagement envers le programme F-35A de Lockheed Martin. L’achat initial de 88 appareils pour remplacer les CF-18 est remis en cause, dans un contexte de tensions diplomatiques et industrielles entre Ottawa et Washington, alimentées notamment par les mesures protectionnistes de Donald Trump. Le ministre de la Défense Bill Blair a confirmé une possible réorientation stratégique, incluant l’option de produire d’autres chasseurs sur le sol canadien. Cette décision intervient alors que le marché mondial des avions de combat connaît une reconfiguration accélérée, et que des alternatives comme le Gripen E de Saab pourraient redevenir pertinentes. Ce revirement politique pourrait avoir des effets directs sur l’industrie aéronautique nationale, sur les coûts du programme et sur l’autonomie stratégique du Canada.

Ottawa réexamine le programme F-35A : une réorientation stratégique
L’annonce d’un réexamen de l’achat des Lockheed Martin F-35A par le gouvernement de Mark Carney marque une inflexion majeure dans la politique de défense canadienne. En 2022, Ottawa avait signé pour 88 appareils, dont 16 déjà commandés pour un coût estimé de 14,2 milliards d’euros (environ 21,3 milliards de dollars canadiens), incluant la formation, l’entretien et les infrastructures associées. Cet engagement devait remplacer la flotte vieillissante de CF-18 Hornet, en service depuis les années 1980.
L’argument initial reposait sur la capacité furtive, l’intégration OTAN et la supériorité technologique du F-35A. Toutefois, les retours critiques sur les coûts d’entretien élevés, estimés à 38 000 € par heure de vol en moyenne, ont alimenté les doutes internes. À cela s’ajoute une dépendance technologique forte vis-à-vis des États-Unis, rendant le Canada vulnérable aux décisions unilatérales de Washington, comme l’illustre l’exclusion de la Turquie du programme F-35 en 2018.
En réévaluant ce contrat, Ottawa cherche à renforcer sa souveraineté industrielle et militaire, tout en réduisant sa exposition aux tensions commerciales américaines. Cette stratégie s’inscrit dans un contexte de polarisation géopolitique accrue, où les chaînes d’approvisionnement liées aux équipements militaires deviennent des leviers diplomatiques.
L’option Gripen E : vers une relocalisation industrielle au Canada ?
Le ministre de la Défense a mentionné une possibilité de production locale en collaboration avec d’autres constructeurs. Le constructeur suédois Saab, évincé en 2022 avec son Gripen E, redevient une alternative sérieuse. Saab avait proposé un partenariat de co-développement industriel, incluant une chaîne d’assemblage sur le territoire canadien, avec des engagements en matière de retombées économiques locales estimées à 15 milliards d’euros sur 25 ans.
Techniquement, le Gripen E dispose d’un radar AESA, d’une compatibilité OTAN et de coûts d’exploitation réduits à environ 6 000 € par heure de vol, soit près de six fois moins que le F-35. Le Gripen est également reconnu pour sa maintenance simplifiée et sa capacité à opérer sur des pistes non préparées, ce qui correspond mieux aux conditions opérationnelles dans les bases canadiennes reculées.
Cette relocalisation industrielle offrirait au Canada une capacité de production indépendante, tout en dynamisant l’emploi dans les secteurs aérospatial et défense. La base industrielle canadienne, historiquement concentrée autour de Bombardier, CAE et Pratt & Whitney Canada, pourrait y trouver une opportunité de consolidation, surtout après les effets délétères du dossier Boeing-Bombardier de 2017.
Conséquences industrielles et diplomatiques d’un retrait du F-35
Un retrait partiel ou total du programme F-35 aurait plusieurs répercussions industrielles et diplomatiques. Le Canada est actuellement membre du consortium F-35, ce qui permet à ses entreprises de participer à la chaîne logistique internationale du programme. En 2023, environ 110 entreprises canadiennes bénéficiaient de contrats liés au F-35, pour un volume cumulé de 2,6 milliards d’euros. Se retirer du programme remettrait en question ces contrats.
Cependant, la dépendance à l’égard de ce consortium soulève également des interrogations sur la durabilité stratégique de cette relation. Les précédents montrent que les tensions bilatérales peuvent affecter directement les contrats industriels. Le cas Boeing-Bombardier en est une illustration concrète : Boeing avait attaqué Bombardier devant le Département du Commerce américain, provoquant une reconfiguration rapide du programme C Series vendu à Airbus en 2018, devenu depuis A220.
D’un point de vue diplomatique, une remise en question du F-35 serait un signal politique clair adressé à Washington, dans un contexte où Donald Trump multiplie les déclarations contre les alliés traditionnels, et où les politiques protectionnistes américaines impactent directement les chaînes industrielles des partenaires. Ottawa pourrait donc se repositionner comme acteur plus autonome, en multipliant les partenariats hors du giron américain (Europe, Asie).

Réflexions stratégiques sur la souveraineté et la projection de puissance
Au-delà du choix d’un avion, le débat touche à des questions plus larges sur la capacité du Canada à préserver une autonomie stratégique dans ses décisions de défense. Le modèle F-35 implique un pilotage centralisé de la maintenance, des mises à jour logicielles et des capacités opérationnelles, dépendantes du système ALIS/ODIN piloté par Lockheed Martin et le Pentagone.
En matière de projection de puissance, le Canada dispose de bases aériennes situées en Arctique, au Manitoba et en Alberta, où la souplesse d’opération d’un appareil comme le Gripen peut offrir une efficacité plus adaptée à son théâtre géographique. L’avenir du NORAD, le commandement de défense aérienne nord-américain, repose également sur des choix capacitaires compatibles mais autonomes. Multiplier les plateformes compatibles OTAN sans dépendre d’un seul fournisseur devient un levier stratégique.
Enfin, le coût total de possession du F-35, sur un cycle de vie de 30 ans, est estimé à plus de 53 milliards d’euros, selon le Department of Defense. Cette charge budgétaire pourrait être redéployée dans d’autres domaines de la défense (cyberdéfense, drones, renseignement), en cas de changement de cap.
Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.