Premier incident « Broken Arrow »: perte d’une bombe nucléaire en 1950

Premier incident « Broken Arrow »: perte d'une bombe nucléaire en 1950

En 1950, un B-36 américain largue une bombe nucléaire non armée au large de la Colombie-Britannique, marquant le premier incident « Broken Arrow ».

Le 13 février 1950, un bombardier B-36 Peacemaker de l’US Air Force rencontre des problèmes mécaniques lors d’un vol d’entraînement. Pour alléger l’appareil, l’équipage largue une bombe nucléaire Mark 4 non armée au-dessus de l’océan Pacifique, près de la côte canadienne. Cet événement est reconnu comme le premier incident « Broken Arrow », terme désignant les accidents impliquant des armes nucléaires. Bien que la bombe n’ait pas provoqué d’explosion nucléaire, l’incident souligne les risques associés à la manipulation et au transport de telles armes.

Le contexte du vol et la mission du B-36 Peacemaker

Le 13 février 1950, un bombardier Convair B-36B Peacemaker de l’US Air Force, immatriculé 44-92075, décolle de la base aérienne d’Eielson, près de Fairbanks, en Alaska. L’appareil appartient au 7e Escadron de bombardement lourd et effectue une mission d’entraînement simulant une attaque nucléaire sur San Francisco, avant de rejoindre sa base à Carswell, au Texas. Le B-36B, premier véritable bombardier intercontinental américain, est conçu pour transporter des charges nucléaires sur de longues distances, avec une autonomie de plus de 6 000 kilomètres. Lors de cette mission, l’avion transporte une bombe nucléaire Mark 4, une version améliorée de la bombe « Fat Man » larguée sur Nagasaki en 1945. La Mark 4 mesure environ 3,25 mètres de long pour un diamètre de 1,5 mètre et pèse près de 4 900 kilogrammes. Cependant, conformément aux protocoles de sécurité de l’époque, la bombe est équipée d’un cœur factice en plomb, rendant impossible toute explosion nucléaire.

Premier incident « Broken Arrow »: perte d'une bombe nucléaire en 1950

Les problèmes mécaniques en vol

Après environ six heures de vol, le B-36 rencontre des conditions météorologiques défavorables, avec une accumulation de glace sur les surfaces de l’appareil. Pour maintenir l’altitude de croisière à 3 600 mètres, l’équipage augmente la puissance des six moteurs radiaux Pratt & Whitney R-4360 Wasp Major. Malheureusement, trois d’entre eux prennent feu et doivent être arrêtés, réduisant considérablement la puissance disponible. Avec seulement trois moteurs opérationnels, l’avion perd de l’altitude à un rythme de plus de 150 mètres par minute. L’équipage tente de stabiliser l’appareil, mais la situation devient critique. À une altitude d’environ 2 400 mètres, le commandant de bord, le capitaine Harold Barry, décide de changer de cap pour survoler l’océan Pacifique, minimisant ainsi les risques en cas de crash.

Le largage de la bombe Mark 4

Conformément aux procédures de sécurité de l’US Air Force, l’équipage prépare la bombe pour un largage d’urgence. Bien que dépourvue de son cœur nucléaire, la Mark 4 contient plusieurs tonnes d’explosifs conventionnels. Le capitaine Barry ordonne de régler le détonateur pour une explosion à environ 1 400 mètres d’altitude, garantissant ainsi la destruction de la bombe sans risque pour les populations. À une altitude de 2 700 mètres, à environ 88 kilomètres au nord-ouest de Bella Bella, en Colombie-Britannique, la bombe est larguée. Quelques instants plus tard, une explosion lumineuse est observée, résultant de la détonation des explosifs conventionnels. Cette explosion ne provoque pas de réaction nucléaire, confirmant l’absence de matériau fissile dans la bombe.

L’évacuation de l’équipage et le crash de l’appareil

Après le largage de la bombe, la situation de l’avion continue de se détériorer. À une altitude d’environ 1 500 mètres, le capitaine Barry donne l’ordre à l’équipage de sauter en parachute. Les 17 membres d’équipage abandonnent l’appareil au-dessus de l’île Princess Royal. Douze d’entre eux sont retrouvés sains et saufs, bien que l’un soit blessé. Malheureusement, cinq membres ne seront jamais retrouvés, probablement tombés en mer dans des eaux glaciales, où la survie est limitée sans équipement approprié. Quant au B-36, il continue son vol sans pilote et s’écrase finalement sur le flanc du mont Kologet, à environ 350 kilomètres au nord de la zone d’évacuation. Le site du crash ne sera découvert qu’en 1953, lors d’une mission de recherche distincte menée par la Royal Canadian Air Force.

Les conséquences et le contexte historique

Cet incident marque le premier événement classé « Broken Arrow », terme utilisé par l’armée américaine pour désigner les accidents impliquant des armes nucléaires qui ne présentent pas de risque de guerre nucléaire. Entre 1950 et 1980, au moins 32 incidents de ce type sont officiellement reconnus par le Département de la Défense des États-Unis. À l’époque de l’incident de 1950, les États-Unis possèdent environ 235 bombes atomiques opérationnelles, tandis que l’Union soviétique n’en détient que deux. Cet avantage numérique contribue à la stratégie de dissuasion nucléaire américaine durant les premières années de la Guerre froide. Cependant, des incidents comme celui du B-36 soulignent les dangers inhérents au transport et à la manipulation d’armes nucléaires, conduisant à des révisions des protocoles de sécurité et des procédures opérationnelles pour minimiser les risques futurs.

Premier incident « Broken Arrow »: perte d'une bombe nucléaire en 1950

Les incidents nucléaires ultérieurs et leçons apprises

L’incident du B-36 en 1950 marque le début d’une série d’accidents impliquant des armes nucléaires au sein de l’armée américaine. Entre 1950 et 1980, au moins 32 incidents « Broken Arrow » sont officiellement répertoriés, impliquant la perte, l’endommagement ou le largage involontaire de bombes nucléaires. Si la plupart de ces événements n’ont pas entraîné d’explosion nucléaire, certains ont eu des conséquences graves, notamment la contamination radioactive de certaines zones.

Des exemples d’incidents similaires

  • 1958 – Tybee Island, Géorgie : Un bombardier B-47 entre en collision avec un chasseur F-86. L’équipage largue une bombe nucléaire Mark 15 dans l’océan Atlantique, près de la côte de la Géorgie. Elle n’a jamais été retrouvée.
  • 1966 – Palomares, Espagne : Lors d’une mission de ravitaillement en vol, un B-52 entre en collision avec un avion-citerne KC-135, entraînant la chute de quatre bombes nucléaires B28 sur le sol espagnol. Deux bombes explosent partiellement, dispersant du plutonium radioactif.
  • 1968 – Groenland, base de Thulé : Un B-52 s’écrase avec quatre bombes nucléaires. Bien que les ogives n’explosent pas, la contamination radioactive affecte l’environnement local.

Les conséquences sur la doctrine nucléaire

Ces incidents ont conduit à des modifications majeures dans la doctrine nucléaire américaine et les procédures de gestion des armes nucléaires. À partir des années 1960, le programme Operation Chrome Dome impose à des bombardiers armés de patrouiller en vol en permanence, mais après plusieurs incidents, cette pratique est arrêtée en 1968. D’autres mesures sont adoptées pour réduire les risques :

  • Stockage sécurisé des armes nucléaires : Les ogives et leur cœur fissile sont séparés jusqu’à leur activation sur ordre présidentiel.
  • Mécanismes de sécurité renforcés : De nouveaux dispositifs empêchent l’explosion accidentelle d’une bombe en cas de largage involontaire.
  • Réduction des vols avec armes nucléaires : À partir des années 1970, les bombardiers ne transportent plus en permanence des armes nucléaires en vol, sauf en cas d’exercice spécifique.

Impact stratégique de l’incident sur la guerre froide

À l’époque du premier incident Broken Arrow, la Guerre froide est en phase d’escalade. En 1950, les États-Unis disposent d’environ 235 bombes nucléaires tandis que l’Union soviétique en possède moins de cinq. La perte d’une bombe, même sans matériau fissile, reste un sujet de préoccupation stratégique, notamment en raison du risque d’espionnage ou d’acquisition par un pays ennemi.

Les implications géopolitiques

  • Dissuasion et propagande : L’Union soviétique exploite ces incidents pour critiquer la fiabilité et la sécurité des armes nucléaires américaines.
  • Augmentation des tensions nucléaires : La course aux armements pousse les États-Unis et l’URSS à renforcer leurs capacités de frappe et de protection de leurs arsenaux.
  • Programmes d’amélioration des bombardiers : L’incident met en évidence les faiblesses du B-36, notamment ses moteurs à pistons peu fiables. Il accélère l’adoption du B-52 Stratofortress, plus rapide et plus robuste.

La récupération et l’enquête sur le site du crash

Le site du crash du B-36 ne sera découvert qu’en 1953, trois ans après l’incident, par un avion de recherche canadien. Le gouvernement américain craint que des éléments sensibles de l’appareil ne tombent entre de mauvaises mains. Une mission de récupération est alors organisée, suivie d’une opération de destruction en 1954 pour éliminer les composants classifiés.

  • Destruction de pièces sensibles : Des équipes explosives neutralisent les équipements critiques du bombardier.
  • Récupération de certaines pièces : Certains composants électroniques et moteurs sont récupérés pour analyse.
  • Évaluation des risques environnementaux : L’absence de cœur nucléaire dans la bombe larguée réduit le risque de contamination radioactive.

Les enquêtes ultérieures et les visites du site

Depuis la découverte du site, plusieurs expéditions y ont été menées par des enquêteurs et des historiens. En 2003, une équipe d’investigation confirme que les principaux débris encore présents sont le compartiment arrière de l’équipage, une partie de la voilure et la soute à bombes arrière. Des visiteurs et collectionneurs d’artefacts militaires ont depuis récupéré des fragments de l’appareil.

L’incident du B-36 en 1950 est un rappel des risques liés au transport et à la gestion des armes nucléaires. Il a joué un rôle majeur dans l’évolution des protocoles de sécurité nucléaire, poussant l’armée américaine à revoir ses pratiques et à renforcer la sûreté de ses opérations. Même si aucun incident de type Broken Arrow n’a été signalé depuis 1980, les risques technologiques et humains liés aux armes nucléaires restent un enjeu stratégique majeur.

Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.

A propos de admin 1434 Articles
Avion-Chasse.fr est un site d'information indépendant dont l'équipe éditoriale est composée de journalistes aéronautiques et de pilotes professionnels.