Gotha G.IV

Le Gotha G.IV était un bombardier biplan allemand de la Première Guerre mondiale, conçu pour des missions de bombardement stratégique à longue portée. Mis en service en 1917, il a été utilisé principalement pour des raids sur le Royaume-Uni et d’autres cibles alliées. Doté de deux moteurs Mercedes D.IVa de 260 chevaux, il pouvait transporter jusqu’à 500 kg de bombes et atteindre une vitesse maximale de 135 km/h. Son autonomie était d’environ 810 km, avec une endurance de vol de six heures. Le G.IV a introduit des améliorations significatives par rapport à ses prédécesseurs, notamment le “tunnel Gotha” pour une meilleure défense arrière. Malgré ses avancées, il souffrait de problèmes de maniabilité, en particulier lors des atterrissages. Remplacé progressivement par le Gotha G.V, le G.IV a marqué l’histoire de l’aviation militaire par son rôle dans les premières campagnes de bombardement stratégique.

L’historique du Gotha G.IV

Le Gotha G.IV a été développé par la Gothaer Waggonfabrik en réponse aux besoins croissants de l’armée allemande pour un bombardier à longue portée capable de frapper des cibles stratégiques au-delà des lignes ennemies. Les expériences avec les modèles précédents, tels que le G.III, avaient mis en évidence des limitations en termes de portée et de capacité de charge utile. Ainsi, en 1916, sous la direction de l’ingénieur Hans Burkhard, le développement du G.IV a été initié pour surmonter ces défis.

Les premières commandes de production ont été passées en novembre 1916, avec une demande initiale de 35 appareils, rapidement augmentée à 50 en février 1917. Pour répondre à cette demande, la production a été étendue à d’autres fabricants, notamment Luft-Verkehrs-Gesellschaft (LVG) et Siemens-Schuckert Werke (SSW), qui ont produit respectivement 100 et 80 unités sous licence. Cependant, les versions produites sous licence étaient légèrement plus lourdes et moins performantes que celles fabriquées par Gothaer, en raison des renforcements structurels supplémentaires exigés par l’Inspection des troupes aériennes (Idflieg).

Le G.IV est entré en service opérationnel en mars 1917, rejoignant le Kampfgeschwader der Obersten Heeresleitung 1 (Kagohl 1), qui a été renommé plus tard Bombengeschwader 3 (Bogohl 3) et est devenu célèbre sous le nom de “Englandgeschwader” en raison de ses missions de bombardement sur le Royaume-Uni. Les premières missions ont été retardées par des problèmes techniques, notamment des défaillances de roulements de moteur et des difficultés liées à la consommation de carburant, qui ont nécessité des modifications avant que les opérations ne puissent commencer efficacement.

En mai 1917, le G.IV a commencé ses raids diurnes sur Londres et le sud de l’Angleterre dans le cadre de l’opération “Türkenkreuz”. Ces missions visaient à démoraliser la population britannique et à perturber les infrastructures militaires et industrielles. Cependant, face à l’amélioration des défenses anti-aériennes britanniques et aux pertes croissantes, les raids diurnes ont été abandonnés au profit d’opérations nocturnes à partir de septembre 1917.

Le G.IV a également été utilisé sur d’autres fronts, notamment par les forces austro-hongroises, qui ont reçu environ 40 unités équipées de moteurs Hiero de 230 chevaux et de mitrailleuses Schwarzlose de 8 mm. Ces appareils ont été employés lors des batailles de Piave contre les forces italiennes en 1918.

En octobre 1917, le G.IV a atteint son pic de déploiement avec 50 appareils en service actif. Cependant, avec l’introduction de modèles plus avancés comme le Gotha G.V, le G.IV a progressivement été relégué à des rôles secondaires, bien qu’il soit resté en service jusqu’à la fin de la guerre en novembre 1918.

Le design du Gotha G.IV

Le Gotha G.IV présentait une configuration biplan avec une envergure de 23,7 mètres et une longueur de 12,2 mètres. Sa structure était principalement en bois, avec un revêtement en contreplaqué pour le fuselage, offrant une meilleure résistance et une certaine flottabilité en cas d’amerrissage forcé. Cette caractéristique était une amélioration notable par rapport aux modèles précédents, qui utilisaient un revêtement en toile moins robuste.

L’une des innovations majeures du G.IV était le “tunnel Gotha”. Ce dispositif consistait en une ouverture dans la partie inférieure arrière du fuselage, permettant au mitrailleur dorsal de tirer vers le bas et l’arrière de l’appareil. Cette conception améliorait considérablement la couverture défensive, réduisant les angles morts exploités par les chasseurs ennemis. En plus de cette mitrailleuse dorsale, le G.IV était généralement armé de deux à trois mitrailleuses Parabellum MG 14 de 7,92 mm, offrant une protection contre les attaques venant de différentes directions.

Les moteurs étaient montés dans des nacelles situées entre les ailes supérieure et inférieure, une disposition qui libérait de l’espace dans le fuselage pour le stockage du carburant et des bombes. Cependant, cette configuration présentait des défis en termes de centre de gravité, rendant l’appareil légèrement arrière-lourd, surtout après le largage des bombes. Pour pallier ce problème, des ajustements ont été apportés, notamment l’ajout de réservoirs de carburant supplémentaires et des modifications structurelles sur les versions produites sous licence.

G.IV souffrait d’une faible tolérance aux manœuvres serrées, en particulier lors de l’approche et de l’atterrissage. Sa voilure, bien que solide, restait vulnérable aux fortes charges aérodynamiques en cas de turbulence ou d’action évasive. Les ailes, d’envergure égale, reposaient sur une structure à entretoises parallèles, renforcée par des câbles en acier gainé. Le profil aérodynamique, relativement plat, favorisait la portance mais limitait la vitesse de croisière.

Le cockpit était ouvert et accueillait un pilote, un mitrailleur/navigateur à l’avant et un artilleur dorsal à l’arrière. L’ergonomie était rudimentaire : les instruments de vol se limitaient à un altimètre, un anémomètre, un compas et quelques indicateurs de pression. La communication entre les membres d’équipage s’effectuait par gestes ou cris, rendant la coordination difficile en combat.

L’appareil pouvait emporter une charge offensive maximale d’environ 500 kg de bombes (soit environ 1 100 livres), réparties dans des soutes internes sous le fuselage ou suspendues sous les ailes. Ce chargement comprenait des bombes SC50 et PuW 100, utilisées principalement contre des cibles industrielles ou ferroviaires.

En matière de production, les différences entre les exemplaires construits par Gothaer Waggonfabrik et ceux réalisés sous licence par LVG ou SSW tenaient surtout à des détails structurels. Les modèles LVG étaient légèrement allongés, tandis que les versions SSW avaient une dérive renforcée. Les deux versions avaient des renforts supplémentaires qui alourdissaient l’appareil d’environ 100 kg.

En somme, le design du Gotha G.IV illustre la transition entre les bombardiers rudimentaires du début de la guerre et les premiers appareils spécialisés capables de missions longues à haute altitude. Son architecture biplan à double moteur, combinée à une disposition tactique originale des armes défensives, en faisait une plateforme expérimentale pour les futures doctrines du bombardement stratégique.

Gotha G.IV

La performance du Gotha G.IV

Le Gotha G.IV était équipé de deux moteurs Mercedes D.IVa, 6 cylindres en ligne refroidis par liquide, développant 260 chevaux chacun (environ 194 kW). Ces moteurs représentaient une amélioration par rapport aux versions antérieures de la série G, permettant au G.IV d’atteindre une vitesse maximale de 135 km/h à pleine charge, ce qui restait modeste face aux chasseurs britanniques contemporains.

L’endurance en vol était de 6 heures avec des réservoirs pleins, ce qui permettait aux appareils de couvrir une distance maximale d’environ 810 km, incluant l’aller, le retour, et une réserve. Cela autorisait des missions au départ de la Belgique occupée vers des cibles situées dans le sud de l’Angleterre, comme Londres, Sheerness ou Folkestone.

Le plafond opérationnel du Gotha G.IV était de 5 000 mètres, soit environ 16 400 pieds. À cette altitude, il pouvait éviter une grande partie des tirs d’artillerie anti-aérienne de l’époque, bien que la précision de largage des bombes s’en trouvât réduite. Les performances en montée étaient limitées : il fallait près de 30 minutes pour atteindre l’altitude de croisière.

La manœuvrabilité de l’appareil était médiocre. Le rayon de virage était large et le taux de roulis faible, en raison de l’envergure et du poids de la cellule. La stabilité longitudinale était correcte, mais le centrage arrière rendait le vol instable une fois la charge de bombes larguée.

Le G.IV était conçu pour voler en formation serrée avec d’autres bombardiers, afin de concentrer la puissance de feu défensive. Cependant, en pratique, ces formations étaient souvent désorganisées par les conditions météorologiques, les pannes ou les attaques ennemies. L’absence de radio empêchait toute correction en vol, ce qui compromettait souvent l’efficacité des raids.

Les performances de vol en condition réelle étaient aussi limitées par la fiabilité mécanique. Les moteurs Mercedes D.IVa, bien qu’appréciés pour leur régularité, étaient sensibles aux variations de température et à la qualité du carburant. Des défaillances de lubrification ou de soupapes étaient fréquentes après 3 à 4 heures de vol.

En matière de protection, l’armement défensif se composait de deux à trois mitrailleuses Parabellum MG 14 de 7,92 mm, montées sur affût flexible. L’armement n’était pas motorisé, mais bien positionné pour couvrir les zones vulnérables, notamment grâce au tunnel dorsal qui permettait au mitrailleur arrière de tirer vers le bas.

Les performances globales du Gotha G.IV étaient donc fonctionnelles mais limitées. Son autonomie et son plafond opérationnel en faisaient un outil adapté aux frappes en profondeur. Toutefois, sa lenteur, sa vulnérabilité aux chasseurs alliés et sa complexité opérationnelle limitaient son efficacité tactique isolée. Les ingénieurs allemands en ont tenu compte pour le développement du Gotha G.V, qui visait à corriger ces défauts.

Les missions du Gotha G.IV au combat

Le Gotha G.IV fut engagé dans des missions de bombardement stratégique contre les Alliés à partir du printemps 1917. Son principal théâtre d’opérations fut le front occidental, avec un accent particulier sur les raids longue distance en territoire britannique. Le commandement allemand, conscient de la portée symbolique et psychologique d’une attaque sur le sol britannique, mit en place l’« Englandgeschwader », un groupe de bombardement dédié aux opérations au-dessus de la Manche.

La première grande opération du G.IV contre le Royaume-Uni eut lieu le 25 mai 1917, avec 23 appareils ciblant les docks de Folkestone. L’attaque, bien que techniquement un succès en matière de navigation, causa 95 morts civils et démontra les limites du bombardement de précision. Ce raid marqua le début d’une série de frappes connues sous le nom d’opération Türkenkreuz.

L’attaque la plus connue, celle du 13 juin 1917, vit 20 Gotha G.IV bombarder Londres en plein jour, causant 162 morts et plus de 400 blessés. Ce fut le bombardement aérien le plus meurtrier que la capitale britannique ait connu jusqu’alors. Les appareils partirent depuis des bases établies en Belgique (notamment à Saint-Denis-Westrem et Gontrode), franchissant la Manche à haute altitude, hors de portée de la plupart des chasseurs alliés.

Cependant, les pertes augmentèrent rapidement. Lors du raid du 7 juillet 1917, 22 avions furent envoyés, mais 6 furent perdus à cause des nouveaux dispositifs de défense britanniques : des chasseurs Sopwith Pup et des batteries anti-aériennes, désormais coordonnées. Le taux de perte atteignit près de 30 % dans certains raids, rendant les opérations diurnes intenables. À l’automne 1917, les attaques basculèrent vers des missions nocturnes, malgré les faibles performances du G.IV en vol de nuit.

Le G.IV fut également engagé sur d’autres fronts. En Italie, une dizaine d’appareils fut utilisée par les Austro-Hongrois pour frapper les lignes de ravitaillement italiennes dans les Alpes et la région du Piave en 1918. Ces missions, bien que plus modestes, eurent un impact direct sur le soutien logistique des forces italiennes en montagne.

Une autre opération notable impliquant le Gotha G.IV fut le raid du 28 septembre 1917, visant les installations portuaires de Sheerness et Chatham. Ce bombardement, bien que planifié de manière rigoureuse, échoua partiellement à cause de la météo et d’une mauvaise coordination. Deux appareils s’écrasèrent en mer lors du retour.

En dehors des opérations majeures, le G.IV fut aussi utilisé pour bombarder des gares, des dépôts de munitions et des nœuds ferroviaires situés derrière les lignes françaises, belges ou britanniques. Son rayon d’action permettait une certaine flexibilité stratégique, mais sa lenteur et sa vulnérabilité imposaient de voler en groupe et à haute altitude.

Le bilan opérationnel du G.IV est contrasté. D’un côté, il démontra que le bombardement à longue distance était possible. De l’autre, les pertes, l’imprécision des frappes et la vulnérabilité accrue dès que les conditions météorologiques ou la coordination faiblissaient, limitaient son efficacité réelle.

Au total, plus de 20 raids majeurs furent menés par le G.IV contre le Royaume-Uni entre mai et septembre 1917. Dès 1918, la plupart des unités actives passèrent au Gotha G.V, plus stable, tandis que les G.IV restants furent relégués à des missions de second rang ou utilisés pour l’entraînement.

Un dernier mot

L’histoire du Gotha G.IV s’inscrit dans une phase de transition de l’aviation militaire. Si son entrée en service en 1917 représentait un progrès technique, son obsolescence était rapide en raison de l’accélération du développement aéronautique pendant la guerre.

À partir de début 1918, le G.IV fut progressivement remplacé par le Gotha G.V, une version dotée d’une aérodynamique améliorée et d’une cellule plus robuste. Le G.IV souffrait en effet d’une instabilité chronique au moment de l’atterrissage et d’un comportement délicat en cas de panne moteur, ce qui entraîna plusieurs accidents. Il n’était pas rare que l’appareil s’écrase en phase finale de mission, y compris sans intervention ennemie.

La production du G.IV s’acheva en fin 1917, avec un total estimé de 230 exemplaires, tous constructeurs confondus. Ces appareils furent utilisés jusqu’à novembre 1918, date de l’Armistice. La majorité fut immédiatement mise au rebut par les autorités alliées, conformément aux conditions de désarmement imposées au Reich.

Quelques appareils échappèrent à la destruction. L’armée austro-hongroise conserva une trentaine de G.IV adaptés avec des moteurs Hiero 230. L’un d’eux fut livré à la Pologne, après avoir été saisi sur un terrain d’aviation. Il servit brièvement lors du conflit polono-soviétique de 1919-1920, avant d’être retiré du service.

Un autre appareil s’écrasa aux Pays-Bas en août 1917. Capturé, il fut brièvement remis en état par les autorités néerlandaises pour test, mais détruit lors d’un accident au décollage en 1918. Aucun exemplaire du G.IV ne survécut intact à la période d’après-guerre.

Le Gotha G.IV, bien qu’éclipsé ensuite par le G.V, marque une tentative structurée de l’Allemagne impériale de mettre en œuvre un bombardement stratégique organisé, basé sur des moyens aériens coordonnés. Il révéla les limites de la technologie de l’époque mais posa les bases doctrinales d’un concept qui serait exploité massivement deux décennies plus tard.

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